L’éthique de la parole

 

  

         L’éthique de la parole, dans une expérience de jour en jour renouvelée, affirme une exigence de véracité. Il s’agit  de dire vrai, mais il n’y a pas de dire vrai sans être vrai. Ainsi se définit la nécessité d’une mise au net des relations de soi à autrui et de soi à soi. Les commandements ici sont clairs. Ce sera tout d’abord le refus de payer de mots, de se payer et de payer les autres avec des paroles qui ne soient pas autant de gages de l’être intime.  Que la parole soit parole plénière, significative toujours d’une présence. La facilité verbale dissimule trop souvent le défaut de caractère. L’homme de parole ne paie pas de mots, mais paie de sa personne. Cette hygiène de la parole est d’ailleurs à double entrée, elle implique une clause de réciprocité. Il faut donner la parole à autrui, prendre garde de ne point se comporter à la manière de ceux qui font à eux seuls toute la conversation, n’écoutant jamais ce qu’on leur dit. Accueillir la parole d’autrui, c’est la ressaisir selon le meilleur de son sens en s’efforçant toujours de ne pas la réduire au dénominateur commun de la banalité, mais de lui trouver une valeur originale. Ce faisant, d’ailleurs, en aidant l’autre à manifester sa voix propre, on l’incitera à découvrir sa plus secrète exigence. Telle est la tâche du maître, si, dépassant le monologue de l’enseignement, il sait pousser l’œuvre éducative jusqu’au dialogue authentique où se défriche la personnalité. Le grand éducateur est celui qui répand autour de soi le sens de l’honneur du langage, comme souci de probité dans la présence au monde et à soi même.

  

Georges Gusdorf, La parole, p. 121