Quelques
réflexions sur ma pratique initiale de l'atelier de blason (extrait de
mon mémoire de maîtrise en Sciences de l'Éducation).
Nous voyons dans ce sous-chapitre comment
l’atelier de blason m’a aidé à dégager la problématique de ce mémoire.
« Pour
faire en sorte qu’un symbole ne meure pas
progressivement en nous, c’est à dire pour l’empêcher de
perdre sa capacité de nous rappeler quelque chose de supérieur et de
nous propulser vers cela - et pour l’empêcher de devenir une idole -
nous devons continuellement nous demander si oui ou non nous savons en
extraire les conclusions possibles - permettre au symbole vivant de
continuer à grandir en même temps que nous. La relation entre nous et
nos symbole est donc réitérative. Au fur et à mesure que nous
grandissons, nous sommes capables de voir plus en avant dans le symbole,
et, en outre, cela nous aide à grandir davantage. Certains symboles
sont doués d’un pouvoir de transformation. »
Peter
R. de Coppens
Comme je l’ai indiqué au chapitre Problématique, cette
recherche s’est accompagnée d’un travail nocturne
dont je pense qu’il a été
grandement favorisé par ma participation aux ateliers de blason de
Pascal Galvani. La participation a ce travail nocturne se résumant en
trois points : 1) Le laisser advenir. 2) Y être attentif 3)
l’intégrer à la recherche et à la conceptualisation.
En fait, il y a une interaction entre travail diurne et travail
nocturne. Les deux se nourrissent mutuellement. Les images des rêves
viennent alimenter la réflexion conceptuelle. Dans l’atelier de
blason, on laisse émerger à la conscience les images, les devises, les
personnages emblématiques qui nous habitent.
Voici comment se déroule un atelier de blason .
L’animateur propose un
modèle de blason à remplir, le plus souvent sur le schéma suivant.
1 devise, 4 difficultés, 2 moyens, 1 image 1 symbole, 2 références,
2 qualités, au choix. Le temps imparti est assez court, quelques
minutes. Le travail se fait en silence. La limite de temps empêche de
rentrer dans un processus discursif, il est conseillé de laisser émerger
les images. De prendre celles qui viennent en premier.
Voici comment je remplissais mon blason :
Devise :
Vagabondages
problèmes
difficultés : risque de se perdre, difficulté à se faire
comprendre, risque de l’instabilité, risque du cynisme.
Image/symbole :
le mat du tarot. (le fou).
Références :
Diogène , Toukaram.
Moyens :
savoir s’étonner, courage.
La participation a l’atelier produit une résonance psychique
particulière. Il s’opère une sorte de conscientisation phénoménologique.
On se rend compte qu’on est effectivement habité par
des images, des personnages. On réalise que la devise a un sens
très profond pour soi. Le cadre du déroulement, l’injonction
d’accueil respectueux de
ce qui émerge chez l’autre, la visualisation intérieure et extérieure
de l’image, la présence du groupe et de l’animateur, tout cela
donne un relief très particulier à l’expérience. Énoncer et
inscrire sur un tableau sa devise, ici : vagabondage, procède
d’une objectivation particulière. Nécessairement
je me suis interrogé sur le sens profond de cette devise. Il
s’agissait pour moi de traduire une vie aventureuse, qui refuse de
s’enraciner dans la certitude. Mais aussi l’idée de curiosité, de
quête perpétuelle. J’avais déjà « projeté » cette idée
au Café Philo, j’en avais parlé comme une voie d’inconfort et
d’insécurité, de dépossession. A cette période je réalisais également
que mon nomadisme me pesait. Et je déclarais péremptoirement :
« aujourd’hui, je vais essayer quelque chose de nouveau :
la stabilité. » Je me disais qu’il fallait transférer sur le
plan intellectuel, symbolique et commencer à m’ancrer, à me sédentariser.
La voie du vagabondage est
dangereuse, marginalisante, stigmatisante,
on parle de « délit de vagabondage ». Le mat du
tarot, que je proposais comme image est illustré par un vagabond
marchand sur un chemin avec son baluchon. Il est suivi par un roquet qui
lui mord le mollet. Le chien garde les maisons des « honnêtes »
sédentaires. Loyal a ses maîtres, il vient chasser l’intrus.
L’atelier de blason m’a mis sur la voie de ma problématique. Le
vagabond expérimente la liberté mais il est affligé du stigmate
social.
Pour ne pas fléchir sous la douleur de la morsure, il lui faudra
opérer un « retournement » :
faire de sa pauvreté, une richesse. Faire de sa honte, une fierté :
devenir un « clochard céleste » comme l’a suggéré Jack
Kerouac ou un Diogène : un ascète philosophe qui fait de sa
capacité à la dépossession une vertu affirmée et revendiquée.
Diogène figurait également dans le blason.
Lorsque les participants à l’atelier de blason expriment au
groupe le contenu du travail qu’ils
ont effectué individuellement, la consigne est donnée de ne pas émettre
de jugement de valeur ni de plaquer d’interprétation. L’animateur
cherche à induire un climat d’accueil bienveillant. L’auteur de son
blason est donc renvoyé à lui même quand à l’élucidation du sens
de ce qu’il a produit. La socialisation en grand groupe produit une résonance
particulière et parfois, un échange ou une rencontre avec un autre
participant peut créer un
événement singulier qui vient éclairer
le travail de chacun. Proposer au groupe cette image de la dépossession
me renvoyait à mon propre rapport à la possession, mon propre rapport
au groupe. Faire émerger son blason et le socialiser c’est se mettre
sur la voie d’une élucidation de l’imaginaire qui nous habite.